Je reviens de la Bibliothèque
Nationale de France. L’exposition « Eros au secret » vient
de révéler pour la première fois au grand public
5 siècles de littérature et d’iconographie licencieuses,
classés dans une section spéciale depuis 1702 ( section
Y2), puis portant la mention spéciale «Enfer» en
1844. L’Enfer de la bibliothèque !
Je reprends les mots de Bruno Racine dans son excellente préface
du catalogue de l’exposition :
" Enfer : jamais
une cote ou, pour parler comme le dictionnaire, un symbole servant à l’identification
et au classement des ouvrages n’aura suscité autant
de curiosité. Devant un tel désir de voir et de
savoir, le moment était venu de faire la lumière
sur ces livres et images réputés contraires aux
bonnes mœurs, ceux que la société considérait
comme obscènes, scandaleux, immoraux, tout en les conservant
religieusement à l’abri du regard.»
Il aura fallu donc attendre l’aube du 21ème
siècle pour qu’une institution nationale, lève
le voile, non seulement sur lesdits ouvrages, mais plus fort
encore, sur ses propres pratiques."
Et le public ne s’y est pas trompé ; plusieurs dizaines
de milliers de visiteurs se sont rués pour faire la queue à la
BNF avant de pouvoir en admirer !
Voilà donc les hommes jugés inaptes depuis des siècles,
par les pouvoirs politiques et religieux, à voir ou à lire
ce qui n’est après tout que la condition exclusive de leur
existence : le sexe. Les vits fourrent les cons et les inondent de foutre
depuis la nuit des temps, de cet acte inévitable l’homme
naît, existe et meurt.
La perte du miracle de l’enfance ne trouve guère de plus
efficace consolation que celle des plaisirs du sexe, si éphémères
et illusoires soient-ils. Je n’ai pas tardé à en
trouver un prolongement dans leurs représentations, doué que
j’étais à manier le crayon.
Mes premiers dessins « cochons » furent, aussi loin qu’il
m’en souvienne, de grands moments hors du compte à rebours
et totalement jubilatoires. Une grande quantité fut détruite
par la censure des établissements scolaires que je fréquentais à l’époque,
au grand dam de mes premiers clients, car je vendais mes oeuvres pour
quelques cigarettes toutes aussi interdites. Les commandes pleuvaient,
ma réputation grandissait avec les retenues du dimanche que je
mettais à profit comme autant d’espaces de tranquillité pour
de nouvelles productions, que je livrais sur le marché dès
le lundi matin.
Les cours de modèle vivant à l’École des Beaux
Arts renforcèrent ma technique, mais ce n’est que de nombreuses
années plus tard, alors artiste peintre confirmé, que je
repris ce merveilleux passe-temps. Un beau dessin, ne souffre aucune
complaisance, et la moindre faiblesse le relèguerait aussitôt
dans le carton « rogatons d’atelier » . Pour ce qui
me concerne, c’est poubelle direct. Beaucoup de perte donc, une
production peu florissante de 3 ou 4 dessins par an dignes d’être
montrés, guère plus. Si l’on rajoute à cela
le temps passé sur un bout de carton de 40X50cm, temps bien supérieur à celui
consacré à un format de 170X150 sur toile, on prend la
mesure de cette entreprise : absolument pas rentable !
Il m’est arrivé à plusieurs reprises de me faire
surprendre dans mon atelier en plein travail. Les réactions allaient
de l’étonnement à la gêne en passant par l’amusement,
parfois le vif intérêt. « Tu fais des trucs pornos
toi ? »
Moi : Ah bon, c’est porno ça ?
- Ben oui, c’est dégueulasse…
- Ca c’est pas dégueulasse, ça c’est ton père
avec ta mère. S’ils en étaient pas passés
par ça, tu serais même pas là en train de me parler
!
- !!!???
- Le porno c’est pas ça ! Le porno c’est la présentatrice
du 20h en tailleur Chanel, payée 30.000€/mois, qui met des
trémolos dans la voix et de l’intensité dans le regard
pour te dire comment les terroristes ont ouvert le ventre de la jeune
femme enceinte, comment ils lui ont extirpé le bébé pour
le lancer en l’air. Et ça c’est tous les soirs, et
tout le monde peut écouter et voir, même les enfants… »
Je remercie les libertines, les libres-penseurs, les audacieux qui ont
accepté de poser pour moi, permettant à ces œuvres
d’exister et aux spectateurs d’en apprécier la contemplation.
J’ai pour mes modèles la plus grande admiration, ma reconnaissance
et mon dévouement leur sont éternels. |