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Faire une céramique


 

Je ne suis pas un sculpteur. Quand l'envie m'est venue de faire un animal en volume, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire, de « par quoi commencer ».
Je suis allé voir mon ami Mauro Corda dans son atelier, un grand sculpteur s'il en est.
Pour des raisons sensuelles et historiques, je voulais réaliser une pièce en céramique.
Nous avons dans ce pays des artisans et des techniciens de tout premier ordre riches d'un savoir faire ancestral. La concurrence asiatique a sérieusement décimé la profession ; le projet de faire revivre et travailler les derniers céramistes français m'excitait au plus haut point.
« Tu veux faire une céramique ?!! » me demandait ébahi l'ami Corda.
«Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques !! Une céramique, c'est très beau, mais le parcours est semé d'embûches, c'est très long et compliqué. Ta pièce, tu la verras terminée dans un an. Pas moins.»

Il avait raison. Entre le moment où j'ai pris la première poignée de terre entre mes doigts et celui où j'ai tenu dans les mains une pièce émaillé, il s'est écoulé une année.

 

LA TERRE
Dans l'atelier, Mauro m'a soudé une potence, une structure faite de pièces de métal, de grillages à poules assemblés, le tout fixé solidement sur une planche de bois. Il m'a donné quelques 10kg de terre à modeler et au travail !
A l'époque,avant l'ours, la première pièce que je projetais de réaliser était un gros lapin, comme une suite logique à mon fameux et célèbre Pink Rabitt.
Là encore je suis complètement désemparé. Comment s'y prend t-on ? Comment le lapin que j'ai en tête et dont les croquis sont épinglés aux murs de l'atelier de Corda va t il pouvoir surgir de ce tas informe de glaise ?
Petit à petit, par ajouts successifs de petits fragments de terre et l'aide précieuse du sculpteur le corps émerge. Les oreilles sont une étape cruciale et je les reprends un grand nombre de fois. La potence grillagée tient les kilos de terre empêchant l'édifice de s'effondrer sur lui même. Les séances durent plusieurs semaines, le travail est recouvert, entre chaque nouvelle étape, de linges humides empêchant la terre de sécher.
L'atelier de Corda est à Paris, le mien à Bordeaux, je fais des aller-retour et deux mois plus tard, le lapin est là, conforme dans sa position et sa forme à ce que j'avais en tête! Il ne reste plus qu'à « tirer » (lisser) la terre. Cette dernière étape, par trop technique, est confiée à l'assistant de Corda.

LE PLÂTRE
La bestiole parfaite doit à présent être moulée puis coulée en plâtre fin pour obtenir le prototype, la matrice unique. La terre si longuement travaillée sera perdue… Cette opération est, elle aussi, confiée à un professionnel, je m'acquitte ensuite des finitions : grattage, ponçage fin, et dernières petites retouches.
Un soir enfin, je présente le plâtre lors d'une exposition dans le salon Ernest à l'hôtel Lutétia.


Les biscuits et l'émaillage seront faits par les frères Catufe aux Terres d'Hautaniboul à Boissezon dans le Tarn. Il faut se mettre dans ce contexte d'industrie primitive pour bien comprendre l'enjeu. Nous cherchons à produire une pièce parfaitement homogène, sans coulures ni bulles, reproductible à l'identique. Mais nous n'en sommes pas encore là, la préoccupation du moment est d'avoir un moule qui permet de dégager le sujet sans encombres.

LE MOULE À PIÈCES.
Pour couler la barbotine et démouler aisément le sujet, nous devons faire un moule à pièces en plâtre dur.
Un véritable puzzle de 18 pièces, qui une fois assemblé pèse près de 20kg, et qui sera réalisé par un maître mouleur de Barcelone en charge des restaurations des céramiques de Gaudi sur la Sagrada Familia. Dès l'arrivée du moule à l'atelier de Boissezon les essais commencent et avec eux, le cimetière des lapins.

COMME UNE CHAUSSURE, ON ESSAYE UN MOULE
Une fois les pièces du moule assemblées, on remplit les cavités de barbotine liquide.
Après 2 ou 3 heures on démoule délicatement, vérifiant ainsi qu'il n'y a pas de manque et qu'aucune des pièces n'accroche au plâtre. Le cas échéant, le moule sera rectifié, retravaillé… Les « coutures » doivent être rabotées, effacées à l'éponge.

LES PIÈCES DÉMOULÉES SÈCHENT
Une fois démoulée, la pièce devra sécher lentement dans une pièce aérée et à température constante durant 2 à 3 semaines. Dans l'ensemble, la règle est : ne pas forcer les choses, maintenir un environnement moyen. Pas trop de chaleur, pas trop d'humidité ni de sécheresse, surtout pas de soleil ni de poussière de plâtre ou d'autres minéraux qui pourraient provoquer des accidents de cuisson.

BISCUITAGE
La technique choisie est la double cuisson. Une première cuisson entre 1000 et 1100° pour le biscuit, une deuxième entre 980 et 1050° pour l'émaillage.
L'art de cuire consiste à provoquer un degré de fusion et de solidification suffisant pour donner une grande résistance à la pièce. Mais sans aller jusqu'à une température ou la terre se refermerait, ne permettrait plus à l'émail d'adhérer lors de la deuxième cuisson, ou se déformerait une fois passé le point de fusion.
ÉMAILLAGE
Vu la complexité des formes de mes pièces, l'émaillage se fait au pistolet. La solution est incolore, vaguement grisâtre, la couleur ne sera révélée qu'à la sortie du four. Certains pigments et notamment le Black Pearl nécessitent des courbes de cuisson différentes et très précises pour obtenir une homogénéité parfaite.
Arrivé à la température de fusion de l''émail (souvent vers 980 °C), il faut laisser à l'émail le temps de se napper parfaitement. Au cours du refroidissement, il va finalement devenir un verre solide accroché à son support.

LES PREMIÈRES PIÈCES
Les premières pièces sont souvent décourageantes. Elles finissent au cimetière, et concassées elles font un excellent remblais de surface pour le chemin de terre qui mène à la fabrique… C'est très joli !


 

Après corrections des différentes étapes avant et pendant la cuisson on finit un jour par tenir entre ses mains une pièce parfaite. Elle portera le numéro 1/8. Un an s'est écoulé depuis le premier croquis…